À travers la révolution russe d’Albert Rhys Williams

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mai-juin 2025

Pasteur, A.R.Williams vient au socialisme vers 1907. Sans encore abandonner sa charge, l’année suivante, il soutient Eugène Debs, le candidat socialiste à l’élection présidentielle. En 1912, il défend les grévistes de Lawrence (Massachusetts) qui affrontent le patronat du textile et ses milices durant trois mois.

Après un séjour sur le front de l’Ouest, il arrive dans l’effervescence révolutionnaire de Petrograd, où il est témoin de l’activité des soviets, des manifestations contre la guerre et la politique du gouvernement provisoire, puis des journées de juillet. Il voyage ensuite, recueillant de multiples témoignages d’ouvriers et de paysans. De retour dans la capitale, il assiste à la révolution d’Octobre dont il devient un soutien indéfectible. En compagnie de John Reed, parvenu en Russie après lui avec Louise Bryant, il écrit des textes destinés aux soldats allemands et met sur pied une Légion internationale de défense de la révolution. En 1918, il observe le débarquement des troupes contre-révolutionnaires occidentales à Vladivostok. Arrêté par les Blancs, sa vie menacée, il parvient à s’enfuir. À son retour dans une Amérique où la peur des « Rouges » et la répression contre le mouvement ouvrier font rage, il publie À travers la révolution russe, un plaidoyer pour la révolution bolchevique.

Le plus frappant est la façon avec laquelle il rend compte de la transformation profonde des consciences et de l’intervention des exploités durant ces événements. Tandis que sous l’autocratie, « le peuple avait été plongé dans l’ignorance, anesthésié par l’Église, terrorisé par les Cent-Noirs, maté par les cosaques », les protestataires « jetés dans des forteresses, condamnés aux travaux forcés dans les mines de Sibérie, pendus aux gibets », sa patience a pris fin en février 1917. Williams relate comment l’intelligence des masses s’exprime au fil des mois et la façon dont les consciences se transforment et deviennent une force créatrice puissante. La révolution, résume-t-il, « a décuplé l’intelligence, l’initiative et les ressources de ces masses, les a transformées en un seul être vivant ». Voilà comment il décrit la formation des soviets : « Beaucoup ne savaient ni lire ni écrire, mais beaucoup savaient penser. Aussi, avant de retourner aux tranchées, aux fabriques et à la terre, ils créèrent à leur idée de petites organisations. Dans chaque usine de munitions, les ouvriers choisirent un des leurs en qui ils avaient confiance. Dans les fabriques de chaussures et dans les filatures, ils firent de même. Les briqueteries, les verreries et les autres industries suivirent leur exemple. Ces représentants élus directement sur leurs lieux de travail formèrent le soviet (conseil) des députés ouvriers. […] Les soviets étaient […] composés, non de politiciens bavards et ignorants, mais d’hommes qui connaissaient leur affaire ; de mineurs qui savaient ce qu’est une mine, de mécaniciens qui savaient ce qu’est une machine, de paysans qui savaient ce qu’est la terre, de soldats qui savaient ce qu’est la guerre, d’instituteurs qui savaient ce que sont les enfants. »

Tandis que les intellectuels, les partis socialistes soutenant le gouvernement provisoire, ce « presque cadavre », s’évertuent à arracher ce pouvoir aux travailleurs et à poursuivre la guerre « jusqu’à la victoire », il observe comment la révolution se fraye un chemin dans l’armée, délivrant marins et soldats des humiliations quotidiennes, des châtiments corporels et de l’oppression imposée par les officiers.

Alors que l’économie s’effondre, que la famine menace, le prolétariat se tourne résolument vers les soviets et le parti bolchevique, désormais majoritaire. « Les masses obscures, longtemps inertes, mais enfin soulevées, refusent d’être plus longtemps opprimées et hypnotisées par les jongleries verbales des hommes d’État, méprisent leurs menaces, se moquent de leurs promesses, prennent l’initiative dans leurs propres mains et demandent à leurs “chefs” d’entrer dans la révolution ou de s’en aller. Pour la première fois, les esclaves et les exploités choisissent sciemment le temps de leur délivrance, proclament l’insurrection et s’emparent du gouvernement d’un sixième du monde. »

Il est encore le spectateur enthousiaste des premières manifestations culturelles du premier pouvoir ouvrier de l’histoire : les écoles qui s’ouvrent « même dans des palais, dans des casernes et dans des usines », les théâtres ouvriers, les bibliothèques jaillissant « de toutes parts », les maternités, les cours qui s’ouvrent et les affiches sur l’hygiène, l’art et la science qui couvrent les murs. Un monde nouveau émerge, issu de l’énergie des masses.

Contre le déchaînement de violence de la guerre civile menée par les Blancs avec le soutien armé des puissances impérialistes, et face à la confusion et au chaos ainsi créés, l’auteur voit se former les premières unités de l’Armée rouge. Dans un dernier chapitre, rédigé après la victoire du pouvoir des soviets, il salue l’œuvre entreprise par les bolcheviks malgré toutes les difficultés qu’ils avaient dû affronter.

À lire ce récit, on mesure pleinement la puissance émancipatrice que représenta la Révolution russe et l’espoir qu’elle suscita dans le monde entier.

À travers la révolution russe, édité pour la première fois en français en 1931, reparaît en juin 2025 aux éditions Les Bons Caractères dans une traduction revue augmentée de notes.

10 mai 2025